Recommandations de haut niveau pour le projet de loi C-12, la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité

Graphique présenté avec l’aimable autorisation de West Coast Environmental Law
Le Réseau action climat, avec nos membres et alliés, a travaillé vers l’établissement d’un mécanisme et d’une législation de responsabilité climatique pour le Canada. Le Projet de loi C-12, Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralitéa été déposé au Parlement la semaine dernière. Alors qu’on amorce la seconde lecture du projet de loi aujourd’hui, nous partageons nos observations et des recommandations de haut niveau pour son amélioration, rédigées en collaboration avec Ecojustice, Environmental Defence, West Coast Environmental Law et Équiterre.
Gardez un œil sur cet espace pour des recommandations plus techniques à suivre, au fur et à mesure que le projet de loi avance dans le processus législatif.
Cette note est divisée en quatre sections :
- Observations
- Recommandations pour renforcer C-12
- Faiblesses de C-12
- Les cinq piliers d’une loi canadienne sur la responsabilité climatique, en bref
Observations
- Alors que le projet de loi C-12 consacre d’importants progrès dans l’établissement d’un cadre de responsabilité climatique pour le Canada et enchâsse dans la loi l’engagement du gouvernement d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, il ne livrera pas de responsabilité tel que rédigé présentement.
- C-12 doit implanter une vraie responsabilité non seulement pour atteindre les cibles qui sont déjà sur la table, mais pour aligner le pays avec l’Accord de Paris et son objectif ultime de limitation du réchauffement climatique mondial moyen à 1,5 degrés Celsius.
- Il est impératif que le Canada ait un cycle de responsabilité sur cinq ans (débutant en 2025) qui s’aligne avec le processus de bilan mondial quinquennal de l’Accord de Paris et son objectif de bonifier l’ambition.
- Nous recommandons des budgets de carbone sur cinq ans, qui ne sont pas mentionnés dans la législation. En l’absence de budgets carbone, on ne sait pas quels seront les incréments de planification et de responsabilisation à court terme. Un moment pour faire un bilan approfondi et fixer des objectifs doit être conçu dans le délai de 2025 afin de créer un tremplin pour une action renforcée qui nous mènera en 2030.
- Il y a cinq piliers communs aux lois de responsabilité climatique dans d’autres juridictions qui forment un cadre compréhensif, que le Canada devrait émuler pour implanter une législation de classe mondiale. Des faiblesses dans l’un des piliers affaiblissent l’efficacité du cadre au complet. (les cinq piliers sont décrits ci-bas)
- Le projet de loi C-12 inclut certains des éléments de quatre des cinq piliers; toutefois, des faiblesses parmi chacun d’entre eux font en sorte qu’en tant que tout, la loi manquerait l’objectif d’établir un cadre législatif de responsabilité climatique robuste et de classe mondiale au Canada.
Toute nouvelle législation fédérale significative sur le climat doit respecter et refléter les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), donnant ainsi aux peuples autochtones les moyens de participer pleinement à l’action climatique. Le projet de loi actuel ne fait aucune mention des peuples autochtones, de leurs droits ou des moyens via lesquels ils peuvent participer aux processus de responsabilité du Canada.
Les processus de planification de la responsabilité climatique auront des impacts sur la main-d’œuvre, mais le projet de loi tel qu’il est actuellement rédigé ne reflète aucune relation entre la planification des parcours vers la carboneutralité et les processus de planification pour une transition juste et équitable de la main-d’œuvre afin de garantir de bons emplois à tous les travailleurs et travailleuses alors que des changements sociaux et économiques se produisent. L’atteinte de l’objectif de carboneutralité du Canada doit être réalisée de concert avec la main-d’œuvre, et cette relation devrait être reflétée dans la loi.
Recommendations pour renforcer C-12:
- Le projet de loi C-12 doit assurer que le Canada maximise son ambition le plus rapidement possible, notamment en requérant que le Ministre assure son imputabilité au cours des cinq prochaines années et en assurant que toutes les cibles soient cohérentes avec les meilleures données scientifiques disponibles, les obligations internationales et les principes d’équité.
- Le projet de loi C-12 doit mettre davantage l’accent sur la science et l’expertise, et moins sur la politique en renforçant le rôle de l’organisme consultatif dans l’établissement des objectifs, des plans et des rapports, et en veillant à ce que l’organisme soit composé d’experts indépendants. L’organisme consultatif devrait également préparer des rapports d’impact réguliers qui évaluent les risques des impacts climatiques actuels et anticipés au Canada, afin d’informer la planification de l’adaptation.
- Le projet de loi C-12 doit véritablement obliger le gouvernement à rendre des comptes, en prescrivant des normes minimales rigoureuses pour la planification et la production de rapports et en imposant une obligation légale d’atteindre les cibles établies.Le projet de loi C-12 devrait garantir que les objectifs et les plans sont établis plus à l’avance, prévoir des rapports d’étape plus rapides et plus réguliers et imposer un plafond bas à l’utilisation des compensations internationales (ou même restreindre complètement ces compensations, sauf s’ils sont utilisés pour dépasser les cibles).
- Sans nuire à l’importance du rôle de leadership et de soutien à l’action climatique au besoin du gouvernement fédéral, le projet de loi C-12 devrait également encourager et faciliter l’ambition provinciale et reconnaître l’action partagée. Le projet de loi C-12 doit également assurer, et exiger, la transparence concernant l’état et la direction des émissions de GES dans les juridictions sous-nationales.
- Le projet de loi C-12 doit refléter l’engagement du Canada à adopter la DNUDPA et doit inclure des moyens par lesquels les peuples autochtones peuvent participer pleinement à l’action climatique.
- En modifiant le projet de loi C-12, les parlementaires doivent assurer une relation solide entre la responsabilité climatique et une planification juste et équitable de la transition de la main-d’oeuvre.
Faiblesses de C-12 (chacune des recommandations aux faiblesses, respectivement)
1. L’ambition maintenant, pas plus tard
Fixer dans la loi une cible de carboneutralité d’ici 2050 est essentiel, mais le projet de loi C-12 doit également prévoir des points de contrôle significatifs pour la responsabilité au cours des dix prochaines années – une période jugée cruciale par le GIEC pour éviter un changement climatique catastrophique.
De plus, le projet de loi C-12 n’oblige pas le ministre à tenir compte de façon transparente des avis des experts indépendants lors de l’établissement des cibles de réduction des émissions aux cinq ans. En tant que pays riche avec des émissions historiques et per capita élevées, les cibles du Canada devraient être beaucoup plus ambitieuses que les points de référence établis par le GIEC, soit 45% de réductions mondiales des GES d’ici 2030 et l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050. La position du Réseau action climat Canada est que les émissions de GES domestiques doivent être réduites de 60% d’ici 2030.
Une autre faiblesse importante de C-12 est qu’il utilise des cibles pour les années 2030, 2035, 2040 et 2045 plutôt que des budgets carbone sur cinq ans, qui fourniraient une orientation plus spécifique sur la voie pour réduire les émissions. Cela combiné à des plans et rapports de responsabilité peu fréquents (voir ci-dessous) fait en sorte que les points de contrôle de responsabilité au cours de la cruciale prochaine décennie sont inadéquats. La trajectoire des émissions entre aujourd’hui et 2030 passe par 2025. En particulier, ce plan décennal pour atteindre la cible de 2030 a besoin d’un point d’imputabilité 2025 pour évaluer le progrès..
2. Une expertise solide et indépendante
Le rôle de l’organisme consultatif doit être renforcé et consolidé. La pandémie de la COVID-19 nous a appris que nous ne pouvons pas laisser la politique interférer avec l’importance des avis scientifiques.
Plutôt qu’établir un comité aviseur, le projet de loi C-12 créé un « organisme consultatif » responsable de fournir des recommandations de politiques publiques sur comment atteindre les cibles, et demande à la commissaire à l’environnement et au développement durable (CEDD) de préparer des rapports sur l’implantation des mesures à chaque cinq ans. Ces deux institutions n’ont pas de mandat et de capacité de tenir le gouvernement responsable de ses actions. De façon importante, ni l’une ni l’autre a un mandat explicite d’aviser sur les cibles à long terme et les cibles pour les années jalon.
Il est fondamental que l’organisme consultatif soit composé d’experts indépendants qui ont la capacité et les ressources pour mener des analyses détaillées pour conseiller le gouvernement sur ses cibles, ses plans, et pour faire le suivi et la surveillance de son progrès.
3. La responsabilité dans la loi, pas sur les épaules des Canadiennes et Canadiens
L’échec, à tous les niveaux, doit amener des conséquences. Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-12 impose au gouvernement des obligations faibles, qu’il sera difficile de faire respecter. Pour briser le cycle des cibles de réduction des émissions de GES manquées, nous avons besoin d’une loi qui oblige le gouvernement à rendre des comptes.
Même si le Projet de loi C-12 requiert un cycle mobile de planification et de rapport envers les « années jalons » aux cinq ans ainsi que les cibles à long terme, dans sa forme actuelle, la loi donne au gouvernement trop de marge de manoeuvre pour fixer des cibles faibles et déposer des plans peu étoffés. Pour combler ces lacunes, il faudra imposer au ministre des obligations claires et sans réserve de respecter ou de dépasser des normes minimales solides lors de la fixation de cibles et l’établissement de plans, et démontrer clairement comment les cibles seront atteintes grâce à une modélisation robuste. Cela signifie également exiger du ministre qu’il atteigne réellement les objectifs, plutôt que de simplement planifier de les atteindre.
Également, l’organisme consultatif n’a pas de rôle clair dans le rapport sur le progrès, ce qui veut dire que le gouvernement détermine lui-même s’il est sur la voie d’atteindre les cibles. Une évaluation indépendante augmenterait la confiance du public à l’égard de ces rapports. Que le Rapport d’évaluation vienne deux ans après l’année jalon est trop tard pour permettre de rattraper les réductions d’émissions manquées, même s’il fournit des recommandations de réductions additionnelles.
4. Certitude et crédibilité
La faible fréquence et les faiblesses potentielles des points de contrôle de responsabilité a des conséquences qui vont au-delà de 2030. La certitude compte pour le public canadien, pour les investisseurs et les entreprises, ainsi que pour la communauté internationale.
Le projet de loi C-12 requiert que le ministre fixe des cibles et des plans pour les atteindre seulement cinq ans à l’avance. Pour 2030 et après, une période plus longue (par exemple, le Royaume-Uni a établi 12 ans) pourrait permettre une meilleure planification et développement de politiques et programmes, et fournirait une certitude à moyen terme sur la trajectoire d’émissions du Canada.
Il y a aussi un risque que le Canada dépende indûment de crédits et compensations de carbone (générés par des réductions dans d’autres pays) pour atteindre ses cibles plutôt que de réduire ses émissions domestiquement. Par exemple, le Climate Act de la Suède limite les compensations à 15% de son objectif de 2050.
5. Partager l’effort à travers le Canada
Le résultat du fédéralisme canadien et les disparités régionales en matière d’émissions font en sorte qu’une discussion continue est nécessaire sur la façon de partager l’effort de réduction de nos émissions de GES entre les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et municipaux et de respecter les droits et les compétences des Autochtones. Le gouvernement ne profite pas de l’occasion historique d’institutionnaliser cette conversation à travers le projet de loi C-12, ni de promouvoir le fédéralisme coopératif qu’exige le défi des changements climatiques.
Les cinq piliers d’une loi de responsabilité climatique canadienne robuste
Il y a cinq piliers communs aux lois de responsabilité climatique dans d’autres juridictions qui forment un cadre compréhensif, que le Canada devrait émuler pour implanter une législation de classe mondiale. Des faiblesses dans l’un des piliers affaiblissent l’efficacité du cadre au complet.
Pilier 1: Cibles à long terme (2050 et 2030) de réduction des émissions de GES qui sont ambitieuses et qui avancent le Canada vers sa contribution juste à un scénario de 1,5 degrés.
Pilier 2: Budgets de carbone sur cinq ans qui plafonnent les émissions totales de GES et distribuent de façon équitable les réductions d’émissions à travers le pays. Les budgets carbone forment la base de planification de l’atténuation.
Pilier 3 : Rapports d’impact sur cinq ans déposés devant le Parlement, qui évaluent les risques des impacts actuels et anticipés des changements climatiques au Canada. Les rapports d’impact forment la base de la planification de l’adaptation.
Pilier 4: Des obligations de planification et de rapport pour atteindre les budgets carbone et guider l’adaptation. Les plans, les rapports de progrès et la réponse du gouvernement aux rapports de progrès doivent être présentés devant le Parlement.
Pilier 5: Un comité d’experts indépendant sur le climat qui avise sur les cibles à long terme, les budgets carbone sur cinq ans, les rapports d’impact climatique et les solutions de politiques publiques, et qui suit, surveille et fait rapport sur l’implantation du progrès. Cette expertise indépendante est au cœur du cadre de responsabilité et joue un rôle clé dans chacun des piliers précédents